Mnemosyne o la costruzione del senso n° 18 – 2025

Acédie, mélancolie, spleen, dépression, angoisse sont autant de formes d'un mal-être que l’humanité connaît depuis l’Antiquité. Si sa dimension délétère est bien connue, la mélancolie possède aussi un pouvoir fécond. Assumée par l’individu, elle est susceptible de devenir un moteur de création et de savoir. La figure ailée, très pensive, sous les traits de laquelle Dürer se représente dans Melencolia I (1514) scrute au loin, ne s’arrête pas aux desjecta membra, alors même qu’elle interroge le sens des outils scientifiques éparpillés autour d’elle, dans une conscience faustienne anticipée. Lacan, s’inspirant peut-être de la distinction posée par Spinoza entre affectus (une variation de puissance d’agir, un moteur de l’être humain) et affectio (un effet), soutient que l’angoisse peut être vue comme une tension psychologique, comme un levier. Pour Nietzsche, le gai savoir (du provençal gai saber) est un mélange de nostalgie, de tristesse, de goût pour une temporalité consciente de la relativité de la vie, comme l’avait été la poésie autobiographique des troubadours. L’amour et l’éloignement de l’objet désiré génèrent la joie poétique, à l’exact opposé du mélancolique incapable, comme le théorise Freud (1917), de se séparer de l’objet perdu qu’il identifie avec son « moi ». On trouvera dans ce dix-huitième volume de Mnemosyne des essais sur des poètes, des historiens, des dramaturges et des peintres qui se sont nourris consciemment de la mélancolie.